Confinement : quelles conséquences psychologiques ?
Incompréhension, sidération, colère, sentiment d’injustice, isolement, ennui, anxiété, peur… Depuis la mise en place du confinement, les sentiments se bousculent. Avec légitimité : c’est la première fois que nous faisons face à une situation de cette ampleur. La surmonter suppose de se réadapter, entièrement. Catherine Pierrat, psychologue et psychothérapeute à Nice1, analyse nos réactions dans l’épreuve et donne des pistes pour mieux supporter cette quarantaine qui s’éternise.
L’annonce n’a pas eu le même effet pour tout le monde. Pour certains, le confinement a pris des allures de vacances inattendues ("Chouette, je vais dormir deux heures de plus le matin !"). Pour d’autres, ce fut le choc. On emballe immédiatement ses affaires, on remplit la voiture et on part vite se mettre au vert, au grand air, là où la situation sera un peu moins insupportable. "Une peur archaïque s’est réveillée chez la plupart d’entre-nous", révèle Catherine Pierrat, psychologue-psychothérapeute à Nice1. "La peur de manquer a créé comme un mouvement de panique qui nous a poussé à faire tout ce que l’on avait à faire avant de ne plus pouvoir sortir". Faire des courses, boucler des dossiers en cours, réorganiser ses rendez-vous, faire le plein d’activités pour s’occuper, la veille du confinement fut un jour d’effervescence et d’hyperactivité, non dénué d’une certaine excitation à l’idée de vivre un événement hors du commun. Un enthousiasme toutefois bien vite retombé.
"Ce trop-plein d’informations alarmantes nous empêche de déconnecter du sujet"
"Majoritairement, c’est la sidération qui a pris le dessus, poursuit la thérapeute. Pour beaucoup, la menace du coronavirus semblait lointaine. La plupart d’entre-nous n’imaginaient pas que l’on pourrait en arriver à la quarantaine ou espéraient se tromper en visualisant ce scénario-catastrophe". Choc, déni, colère, douleur, sentiment d’injustice, de vide, d’ennui, tristesse, très vite, les sentiments se mêlent, semblables au processus de deuil. "L’émotion qui domine, c’est la peur, souligne Catherine Pierrat. Nous sommes dans une situation inédite, dans laquelle nous n’avons aucun repère. Cette incertitude, dans laquelle sont aussi plongées les équipes qui dirigent le pays, est anxiogène".
A cela s’ajoute une autre source d’angoisse : l’information, multiple et sombre. "Prendre connaissance chaque jour (voire heure par heure) du nombre de cas en réanimation, du nombre de décès, savoir que l’on manque de respirateurs, que les hôpitaux proches de chez nous sont saturés, tout cela est terriblement angoissant ! Ce trop-plein d’informations alarmantes nous empêche de déconnecter du sujet, de nous recentrer et de nous apaiser".
"La colère et l’angoisse qui en découlent se retournent alors sur ceux qui sont autour de nous"
"Vais-je tomber malade ? Qui s’occupera de moi/de mes enfants si je suis gravement atteint ? Va-t-on trouver un traitement ? Quand est-ce que ça va se terminer ? Vais-je arriver à tenir le coup ? Le manque de rentrées financières va-t-il me mettre en péril ? Aura-t-on toujours assez à manger ? etc.". Autant de questions sans fin qui traduisent la diversité de nos situations et constituent une énorme charge mentale pour chacun d’entre-nous. La peur d'être contaminé par le coronavirus, la frustration, l’isolement et l'ennui, le sentiment d’insécurité mais aussi la perte de revenus constituent ainsi des facteurs de stress importants qui se répercutent au sein des familles. "Tout ce qui va déstabiliser nos repères temporels, sociaux ou économiques va faire monter notre niveau d'anxiété, confirme Catherine Pierrat. Tout notre quotidien est en suspens. Tout est remis en question. La colère et l’angoisse qui en découlent se retournent alors sur ceux qui sont autour de nous".
"Pour certains, cela va réveiller des moments douloureux vécus dans l’enfance"
Les études menées en Chine depuis le début du confinement et publiées par la revue The Lancet2 démontrent ce que l’on savait déjà : lorsque le confinement dépasse les dix jours, les symptômes de stress post-traumatique sont significativement plus élevés. Une durée qui sera de toute évidence largement dépassée partout dans le monde. Avec de nombreuses conséquences pour beaucoup d’entre-nous.
Le lien social est la première chose qui vient à manquer. Ne pouvant voir ni famille, ni amis, ni collègues, privés de la satisfaction que procure le travail, mais surtout de liberté d’action et de liberté tout court, nous développons irritabilité et mauvaise humeur. "Chacun va réagir différemment selon son histoire, note Catherine Pierrat. Pour certains, cela va réveiller des blessures familiales ou des moments douloureux vécus dans l’enfance. Le confinement va alors se transformer en véritable torture psychologique".
Troubles émotionnels, compulsifs, insomnies, stress, dépression peuvent alors surgir. "Pour le couple notamment, peu habitué à vivre ensemble 24 heures sur 24, c’est une épreuve, ajoute la psychologue. Il faut s’attendre à un nombre important de séparations après le confinement".
Qui sont les personnes les plus à risque de craquer ?
En premier lieu, toutes les personnes d’ordinaire fragiles psychologiquement, qu’elles suivent ou non un traitement, qui courent un risque de décompensation.
Les personnes âgées ou isolées, tout comme les personnes malades ou immunodéprimées, qui se sentent principalement visées par toutes les informations médicales anxiogènes et peuvent facilement développer une dépression.
Les soignants, en première ligne dans ce combat et donc, très exposés à la maladie mais aussi au burn-out, disposant de très peu de temps pour refaire surface et penser à eux.
Les adolescents, pour qui le manque de contacts peut être source de frustration et de tensions au quotidien.
Mais aussi celles et ceux qui, en temps normal, misent tout sur l’hyperactivité et le sport.
Enfin, pour les femmes et les enfants battus, aujourd'hui enfermés avec leur bourreau, le risque de troubles de stress post-traumatique est, on l’imagine bien, également accru.
Comment faire de cette épreuve un événement positif ?
La première chose à faire, en ces temps difficiles, est de se recentrer sur soi, pour ne pas se laisser gagner par l’anxiété. Moins facile qu’il n’y paraît. "Nous sommes dans une société qui n’a pas l’habitude de développer ses ressources intérieures. En général, on va plutôt chercher des solutions à l’extérieur de nous, reconnaît Catherine Pierrat. Là, il va falloir aller puiser au fond de soi tout ce qui permet de s’auto-rassurer". En s’aidant toutefois de quelques points de repères : la famille ou les amis sont le meilleur soutien. "Communiquer, parler, extérioriser ce que l’on ressent en cette période est fondamental, poursuit la thérapeute. On prend ainsi de la distance avec nos points d’angoisse".
On est alors capable, dans un deuxième temps, de se recentrer sur soi, de réfléchir à qui l’on est, à ce que l’on veut. C’est le bon moment pour reconsidérer sa vie, effectuer un petit bilan et formuler de nouveaux projets qui vont nourrir l’espoir d’un jour meilleur ! Éloignez-vous des émotions négatives, contagieuses pour votre famille.
Acceptez que cette période soit un temps de pause et de lâcher prise pour tous. Si vous devez continuer à gérer votre travail (en même temps que les tâches de la maison ou la continuité pédagogique de vos enfants, ce qui est un vrai challenge, on le sait !), n’oubliez pas de vous accorder des temps de repos juste pour vous, indispensables pour tenir le coup.
Faites de cet éloignement physique un atout pour dire "non" à une surcharge de travail. "En cette période particulière, ne rajoutez pas de la contrainte à la contrainte en vous laissant gagner par une pression familiale ou professionnelle : vous risqueriez d’exploser", martèle Catherine Pierrat.
Les signes que vous avez besoin d’une aide professionnelle
Troubles du sommeil, de l’alimentation (anorexie, boulimie…), consommation d’alcool ou de substances, idées noires, réactions agressives envers vous-même ou envers les autres, tous ces comportements doivent être pris au sérieux. Ils montrent que vous n’allez pas bien et nécessitent une aide extérieure professionnelle. Vous pouvez appeler votre médecin, un psychologue ou un psychiatre : de nombreux thérapeutes proposent actuellement des consultations à distance par téléphone ou via Skype. Cela permet de faire un premier point et de se déplacer pour consulter uniquement en cas de réel besoin. "Pour beaucoup de personnes, il sera important de verbaliser et d’extérioriser ce qui a été mal vécu, après la fin du confinement, exhorte Catherine Pierrat. Il ne faut pas minimiser les conséquences psychologiques d’une telle épreuve : si les émotions n’ont pas été prises en charge à l’issue du traumatisme, des symptômes de stress post-traumatique apparaissent parfois quelques semaines, voire quelques mois, plus tard.”
Des outils pour nous aider ?
Décrochez du coronavirus. Bannissez les informations en continu ou les réseaux sociaux et n’y consacrez pas plus d’une demi-heure par jour. Lisez, écoutez de la musique ou regardez un bon film plutôt !
Mettez en place une routine pour adapter votre quotidien et organiser votre journée : planifiez et structurez votre temps, comme vous le feriez au travail, et gardez une activité physique régulière (footing autorisé à moins d’un kilomètre autour de chez vous ou gym devant la télé !).
Tenez un journal de bord : "Ecrire tout ce que l’on vit est un outil intéressant pour évacuer les émotions négatives et prendre de la distance avec nos ressentis, suggère Catherine Pierrat. Cela permettra de ne pas oublier les différents états émotionnels par lesquels nous sommes passés. Mais aussi de faire le point, une fois le confinement terminé, sur les ressources que nous aurons réussi à mobiliser. On pourra ainsi s’en féliciter et mesurer notre degré de résilience. Se rendre compte que l’on est capable de surmonter ce type d’épreuve donne aussi de la force et une confiance en soi pour continuer sa vie".
Stimulez votre imagination et variez les plaisirs : organisez des jeux ou défis en famille, des ateliers et compétitions de cuisine, des journées à thème (déguisement par exemple), testez de nouvelles activités manuelles, regardez des photos tous ensemble… Vivez l’instant présent, aussi petit soit-il !
Profitez-en pour faire tout ce que vous n’avez pas le temps de faire habituellement : ranger vos armoires, lancer le grand ménage de printemps, désencombrer le garage, trier vos photos, amorcer une démarche zéro déchet, apprendre une langue étrangère…
Résistez à la pression d’en faire trop sur tous les plans et lâchez prise si la charge de travail est trop grande par ailleurs : tant pis si la maison n’est pas impeccable et les devoirs pas faits aussi bien que d’habitude durant cette période ! Faites ce que vous pouvez, avec les ressources dont vous disposez. Chaque situation est particulière et personne ne viendra vous juger.
Si vous avez la chance d’avoir un jardin, aérez-vous au minimum 30-45 minutes par jour.
Et surtout, n’oubliez pas de rire !
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